Quels liens le projet Démos entretient-il avec l’écosystème musical des territoires ?
National
15.11.21

La Philharmonie de Paris a lancé cette année une étude qui entend analyser les effets de Démos sur la vie culturelle locale. Les résultats obtenus permettront de formaliser le degré de différenciation territoriale au sein du dispositif, d’identifier la façon dont Démos contribue à reconfigurer les scènes classiques locales, ou encore de comprendre ses effets sur les trajectoires professionnelles et personnelles des intervenants musicaux.
Lionel Arnaud, Professeur des universités en sociologie à l’Université Paul Sabatier-Toulouse 3, coordonne l’équipe de sept chercheurs* qui a remporté l’appel à projet et sera donc en charge de mener l’étude jusqu’en 2023. « Ce qui nous intéresse c’est de prendre en compte la réalité sociale, historique, géographique et institutionnelle de chaque territoire, ses traditions musicales et plus largement les goûts, les savoirs et les savoir-faire partagés de ses habitants. Et de voir ce qu’un orchestre Démos peut provoquer quand il arrive sur ces territoires qui ont chacun leur spécificité. Ainsi, Démos peut favoriser une dynamique, des rencontres et des coopérations entre des personnes et des institutions qui ne se seraient jamais croisées autrement, mais il peut aussi produire des concurrences, des jalousies, des frustrations… ». Autant d’interrogations et d’hypothèses qui posent la question de l’impact de ce dispositif sur le développement culturel territorial.
Pour apporter des réponses, l’équipe s’attache à comparer cinq territoires choisis pour leur diversité : la métropole de Toulouse, où le déploiement de Démos est associé au département de la Haute-Garonne, la métropole de Brest et la métropole de Lyon, la communauté d’agglomération Cap Excellence en Guadeloupe, et la Communauté de communes du Kreiz Breizh : « Nous avons choisi des territoires qui sont suffisamment contrastés les uns par rapport aux autres : une très grande métropole comme Lyon qui présente en son sein de fortes disparités socio-économiques mais qui dispose aussi d’une politique culturelle et musicale ambitieuse et très institutionnalisée ; des territoires comme Toulouse et la Haute-Garonne, où l’orchestre est porté à la fois par la ville et par le département sur des territoires contrastés ; deux projets différents en Bretagne, l’un porté par le conservatoire à rayonnement régional à Brest et l’autre, plus rural, porté par la Communauté de communes du Kreiz Breizh ; et la Guadeloupe, parce que Démos est implanté en outre-mer et qu’il n’y a donc pas de raison de réserver cette étude aux seuls territoires dits « métropolitains », comme c’est trop souvent le cas dans les travaux qui touchent aux pratiques et aux politiques culturelles. Nous touchons donc à des configurations et des problématiques très diverses : des situations d’enclavement, une île et certains quartiers qui rencontrent d’importantes difficultés socioéconomiques ; des territoires qui disposent d’importantes ressources, tels que des conservatoires de musique, quand d’autres en sont totalement dépourvus ; et des contextes socio-historiques contrastés, avec des traditions musicales qui demeurent parfois très vivaces, associés à des mouvements culturels qui affirment une identité locale extrêmement forte, en particulier sur le plan musical… ».
Dans un premier temps, ce travail de monographies consiste à réaliser un état des lieux de la vie culturelle locale, à observer la façon dont elle s’organise et fonctionne, à cartographier ses acteurs, à mener des entretiens collectifs avec les intervenants artistiques et les référents sociaux de Démos, mais aussi à provoquer des discussions avec des acteurs périphériques au dispositif, quel que soit leur point de vue et leur degré d’implication vis-à-vis de Démos (scène musicale, établissements scolaires, associations…).
En parallèle de la trentaine d’entretiens qui seront réalisés sur ces cinq territoires, une enquête quantitative sera conduite à l’échelle nationale de février à mai 2022 : « Nous enverrons un questionnaire à tous les musiciens intervenants de Démos, passés et présents, pour identifier l’impact qu’a eu ce dispositif sur leur carrière individuelle. De ce point de vue, ce n’est pas seulement ce que Démos fait au territoire qui nous intéresse, c’est aussi ce qu’il fait aux individus, à leurs trajectoires personnelles et professionnelles : est-ce que Démos a créé des vocations? Est-ce que ce dispositif a provoqué des bifurcations biographiques, de nouveaux goûts musicaux, de nouvelles façons de travailler, de faire et d’apprendre la musique ? Est-ce qu’il y a eu des abandons, des personnes qui n’ont pas trouvé leur compte dans le dispositif ? ».
L’enquête de terrain vient de débuter et le questionnaire national à destination des intervenants musicaux est en construction. La quasi-totalité de l’enquête devrait être réalisée d’ici la fin de l’année 2022, avant d’entrer dans un travail de traitement des données, d’analyse et de rédaction. Le rapport final sera livré en juin 2023. « Ce projet d’étude est l’occasion de rappeler que sur chaque territoire, les artistes, les travailleurs sociaux mais aussi les enfants et les familles impliqués dans le dispositif disposent de savoirs et de savoir-faire, des goûts et des répertoires culturels singuliers. La question est de savoir comment les acteurs de Démos parviennent ou non à s’y adapter, voire à les mobiliser et à les valoriser. A ce titre, cette recherche permettra peut-être de donner à voir la façon dont Démos œuvre non seulement à la diffusion de la musique classique, mais aussi comment ce dispositif contribue à dynamiser les différents acteurs de ces territoires. Ce qui est aussi une façon de réfléchir à la contribution de Démos aux droits culturels qui, lentement mais sûrement, s’imposent comme un référentiel incontournable des politiques culturelles, présentes et à venir ».
*L'équipe de chercheurs en charge de l'étude
La provenance et les travaux antérieurs des sept chercheurs associés à cette enquête ont largement influencé le choix des cinq territoires à analyser, et leur interdisciplinarité est un véritable atout pour le projet de recherche. « Il était très important d’avoir des personnes qui résident dans chacun des territoires étudiés, qui connaissent bien les lieux et qui sont en mesure de capitaliser sur leur expérience scientifique et leur connaissance du terrain, et sur leur capacité à pouvoir tisser des liens de confiance avec les acteurs locaux ».
BREST ET KREIZ BREIZH
Bénédicte Havard Duclos (Benedicte.havard-duclos[at]univ-brest.fr), Maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Bretagne Occidentale, et membre du LABoratoire d’Etudes et de Recherche en Sociologie (LABERS, EA 3941, UBO). Elle a rédigé un rapport sur l’expérience de l’Orchestre Démos Brest, centré sur les apports de la participation à l’orchestre pour les enfants apprenants, et sur l’élargissement des publics en 2020.
Lenaïg Lozano (lena.lozano[at]outlook.fr), Docteure en art du spectacle et en sociologie à l’Université de Bretagne Occidentale. Elle a contribué à l’étude menée par Bénédicte Havard Duclos sur le Démos Brestois.
GUADELOUPE
Rémadjie N’Garone (remadjie_n[at]yahoo.fr), Docteure en anthropologie sociale et culturelle de l’Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, qualifiée aux fonctions de Maîtresse de Conférences (Section CNU 20). Elle travaille sur l’anthropologie du conflit en Guadeloupe.
Pierre Odin (pierre.odin[at]gmail.com), Maître de conférences contractuel en science politique à l’Université des Antilles, membre du Laboratoire caribéen de sciences sociales (CNRS-LC2S) et docteur associé au CERI-Science Po. Spécialiste des mobilisations en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, il a exercé en tant que chargé de recherche sur ces différents territoires dans le cadre de l’enquête décennale sur les pratiques culturelles réalisée par le Ministère de la Culture.
LYON
Marion Lang (marion.lang[at]univ-st-etienne.fr), Docteure en science politique de l’Université de Lyon et de l’Université Autonome de Barcelone, et membre du Laboratoire Triangle (UMR 5206, Université Lyon 2/Sc. Po Lyon/Université Jean Monnet St Etienne). Sa thèse portait sur les dispositifs participatifs dans les quartiers populaires et leur réception par les habitants de ces territoires.
TOULOUSE
Lionel Arnaud (lionelarno[at]gmail.com), Professeur des universités en sociologie à l’Université Paul Sabatier-Toulouse 3 et membre du Laboratoire des Sciences Sociales du Politique (LaSSP, EA 4175, Sc. Po Toulouse, UT3). Auteur de plusieurs ouvrages sur les politiques de gestion de la diversité culturelle, en France et à l’étranger, il conduit et coordonne plusieurs travaux de comparaison infranationale et internationale.
Mariette Sibertin-Blanc (sibertin[at]univ-tlse2.fr ), Maîtresse de Conférences-HDR en Aménagement‐urbanisme à l’Université de Toulouse 2 et membre de l’UMR CNRS LISST‐Cieu. Ses recherches portent sur l’action culturelle locale et son articulation au système du développement territorial.